Site original : Technopolice
La loi sur les Jeux Olympiques, qui cherche notamment à légaliser la vidéosurveillance automatisée (VSA) et dont vous nous parlions ici, est passée mardi dernier en séance au Sénat et sera discutée prochainement à l’Assemblée. Restez à l’affût on va faire du bruit pour la deuxième chambre !
Nous avons envoyé à l’ensemble des sénatrices et sénateurs un dossier d’analyse de cette technologie, fruit du travail de documentation et d’étude mené depuis plus de trois ans avec l’initiative Technopolice. Ce long document reprend et expose les enjeux techniques, politiques et juridiques de la VSA afin que nos élu·es prennent la mesure du danger engendré par sa mise en place et prennent surtout conscience du contexte dans lequel elle est défendue. Car contrairement à ce que le gouvernement prétend, la VSA ne sauvera pas les Jeux Olympiques de 2024.
Pour démystifier ce discours, les parlementaires doivent connaître la réalité économique et politique dans laquelle ces technologies ont émergé mais également comment leur conception implique un ensemble de choix politiques tout en débouchant sur une application qui sera, elle aussi, un instrument de mise en œuvre d’une politique répressive et de surveillance. Aussi, le Sénat doit prendre le temps d’appréhender le cadre juridique actuel, protecteur des données personnelles et de la vie privée, et qui est est en passe d’être fallacieusement écarté par ce projet de loi pour rendre acceptable la légalisation de la VSA.
Le rapport est accessible ici.
Nous espérons que les parlementaires le liront et arriveront à la seule conclusion possible : la vidéosurveillance automatisée est un outil de surveillance totale, qui analyse et classe la population, et qui ne doit jamais être légalisé. Seule la suppression de l’article 7 est envisageable.
Nous avons d’ailleurs pu prendre le temps de discuter de ce sujet samedi 14 janvier à la Flèche d’Or à Paris, où vous êtes venu·es nombreuses et nombreux écouter et débattre du phénomène des Jeux olympiques comme accélérateur de surveillance. Vous pouvez retrouver la présentation de Technopolice et de la VSA et le débat sur les jeux olympiques sur notre Peertube.
Nous reviendrons vite sur les actions à mener contre la vidéosurveillance automatisée et contre ce projet de société de surveillance que nous devons absolument refuser !
Il y a 3 ans, La Quadrature du Net, association de défense des libertés numériques, lançait l’initiative Technopolice pour recenser et contrer les nouvelles technologies policières dans nos villes. Pour ce premier évènement en région parisienne, nous voulons mettre la lumière sur un évènement qui arrive à grand pas et va transformer nos villes : les Jeux Olympiques de 2024.
Sous prétexte de leur dimension « exceptionnelle », les JO vont être un accélérateur de surveillance. Ils vont rendre légales des technologies aujourd’hui interdites, en premier lieu la vidéosurveillance algorithmique mais aussi installer des centaines de caméras de vidéosurveillance dans l’espace public francilien.
Pour organiser la lutte contre cet évènement et la banalisation de la surveillance dans nos vies quotidiennes, nous proposons un moment de débats, d’échanges et de fête.
présentation de l’initiative Technopolice (par La Quadrature du Net)
discussion/débat avec des militant·es de Saccage 2024 et des chercheur·euses sur l’utilisation politique des JO dans le déploiement de la surveillance en Île-de-France. Nous aborderons la question des intérêts politiques et économiques qui poussent à faire accepter et installer les techniques de surveillance à marche forcée et débattrons des conséquences que ces Jeux auront dans nos villes et nos vies.
SACCAGE 2024, collectif en résistance face aux saccages écologiques et sociaux que provoquent les Jeux Olympiques de Paris en 2024
Matheus Viegas Ferrari, Doctorant en anthropologie et en relations internationales à l’université Paris 8 et à l’Université Fédérale de Bahia, Matheus s’intéresse aux effets politiques des méga-événements et leur imbrication à la fois dans la fabrique de la ville et dans les processus de mondialisation.
Marianna Kontos, architecte-urbaniste, doctorante à l’université Paris Nanterre, thèse en cours “JOP Paris 2024 en Seine-Saint-Denis. Enjeux démocratiques de la fabrication de la ville”
ateliers pour s’informer et organiser la suite de la lutte !
DJ pour danser ensemble contre la Technopolice <3
Venez nombreux·ses !!!
Nous republions un article que nous avions écrit pour le journal AOC, publié en septembre 2022. Depuis la plainte à la CNIL a été déposée avec 15248 signatures !
En cette fin de semaine se tient à Marseille, le festival Technopolice, organisé par la Quadrature du Net, un collectif visant à dénoncer les comportements liberticides des politiques publiques, notamment l’utilisation de la “vidéosurveillance algorythmique”. À travers une pétition et une plainte adressée à la CNIL, celui-ci se mobilise face à la réappropriation du « sentiment d’insécurité », que l’État justifie ainsi mais qui sert en réalité à surveiller continuellement la population.
En 2019, l’association La Quadrature du Net, qui promeut et défend les libertés fondamentales dans l’environnement numérique depuis 2008 a lancé Technopolice, une campagne décentralisée visant à lutter contre le déploiement des technologies de surveillance dans l’espace public.
Technopolice nomme un phénomène : l’alliance de la technologie et de la police dans la polis, la cité. Cette alliance de la sécurité et du numérique au sein de l’espace public, dans les rues, les villes, est loin d’être anodine.
Elle menace les libertés publiques et individuelles, transforme les rapports sociaux, favorise l’exclusion voire la répression de certaines catégories de la population. La campagne Technopolice vise ainsi à documenter tous ces dispositifs qui prennent place un peu partout en France, généralement sous couvert d’expérimentation dans un premier temps, avant d’être entérinés par la pratique puis par le droit : détection de comportements anormaux, drones, reconnaissance faciale, micros … Face à la propagation de la technopolice, et alors que les éditions 369 ont récemment publié un livre de Claire Richard sur le sujet, La Quadrature du Net passe à l’offensive avec le dépôt auprès de la Commission Nationale Informatique et Libertés (CNIL) d’une plainte collective contre le Ministère de l’Intérieur et toute son infrastructure de surveillance.
Pour commencer, revenons sur la vidéosurveillance, un capteur intrusif au cœur de la technopolice. C’est en 1990 que sont apparues les premières caméras de surveillance en France, à Roubaix puis à Levallois Perret. En 1995, la loi d’orientation et de programmation relative à la sécurité (dite « LOPSI ») leur offre un cadre légal.
Après un lent développement, c’est sous la présidence de Nicolas Sarkozy qu’un décret de 2007 en promeut l’utilisation et généralise leur installation un peu partout dans les métropoles et villes françaises, la vidéosurveillance devenant « un choix prioritaire » du gouvernement.
Dès 2012, la CNIL recensait plus de 800 000 caméras dans l’espace public en France, sans distinguer les privées (commerces, entrées dans des lieux privés, etc.) des publiques. Aujourd’hui, il n’existe pas de décompte officiel, mais les il est certain que les caméras de surveillance se sont multipliées depuis 10 ans.
Si, actuellement, le nombre de caméras explose dans les métropoles (comme le montre cette comparaison des 50 villes les plus peuplées et surveillées), le marché de la vidéosurveillance se tourne aussi de plus en plus vers les zones rurales.
Comme à Marcillac-Vallon, en Aveyron, où le maire a installé, malgré la mobilisation des habitant·es de la commune contre ce projet et sa promesse d’y renoncer, plusieurs caméras autour du local poubelle du village pour surveiller « le dépôt sauvage d’ordures ».
Ou encore à Forcalquier, petite ville de 5000 habitant·es dans les Alpes de Haute Provence, ne souffrant pourtant pas particulièrement de vols, de cambriolages ou d’autres infractions permettant souvent de justifier l’installation de caméras, et où les habitant·es ne comprennent toujours pas le nouveau projet d’installation de caméras fixes et mobiles du nouveau maire LR élu en 2020.
Ces zones rurales, jusque-là encore relativement vierges de caméras, semblent être les nouveaux territoires à conquérir, à la fois pour les industriels de la sécurité en quête de nouveaux marchés, comme pour les élus locaux en quête de discours et de bilans politiques rentables politiquement, et ce, sans contrainte financière directe pour les communes, car ces projets sont systématiquement financés par l’État ou l’Europe, via le Fonds Interministériel de Prévention de la Délinquance (FIPD) qui ne cesse d’augmenter ou encore le Fonds Européen pour la Sécurité Intérieure (FSI).
C’est ainsi que, le président de l’AN2V, l’association nationale de vidéoprotection, créée en 2004 pour « répondre à un besoin de mutualisation des expériences dans le domaine des technologies de sûreté » et « regroupant la plupart des entreprises du domaine de la sécurité ainsi que des collectivités », déclarait dernièrement dans un colloque nommé « IA et sécurité intérieure » (IA pour Intelligence Artificielle) « je tire mon chapeau à Jean-Michel Fauvergue et Alice Thourot qui ont bien bataillé pour faire passer cet article 42 » de la loi Sécurité Globale, permettant à des communes, métropoles, départements, petites collectivités rurales, syndicats d’électrifications, syndicats mixtes ouverts, etc. de se réunir autour de grands projets communs de vidéosurveillance et de mutualiser à la fois leur utilisation et leur exploitation.
Pour lui, cet article 42 et l’augmentation de la dimension des projets de vidéosurveillance qu’il permet désormais tend vers « une évolution lourde qui va marquer les esprits sur les dix prochaines années » et faire disparaître la « rupture de sécurité dans ces territoires ». Or, si des caméras ont été déployées un peu partout sur le territoire, ce n’est pourtant pas pour leur efficacité à faire baisser la criminalité. Comme le démontrent les rares études sur le sujet [8], les vidéos issues de caméras sont mobilisées dans moins de 2 % des enquêtes résolues et ce, malgré leur prix, qui devrait pourtant être rédhibitoire, lorsqu’on sait qu’une seule caméra coûte en moyenne 30 000 euros à une commune.
Dans une ville comme Nice, on en compte bientôt 4000. Pour expliquer cette contradiction – les caméras sont inefficaces mais tout le monde en déploie – le LINC, le laboratoire de prospective de la CNIL, évoque la construction d’un système de production de croyance en l’efficacité de la vidéosurveillance.
Cela signifie que la croyance en son efficacité et son utilité politique est construite de toutes pièces à partir de la notion « de sentiment d’insécurité », sorte de joker impossible à quantifier et à définir, et pourtant régulièrement utilisé dans la rhétorique sécuritaire par les préfets, les gendarmes, les élus, les assurances, la presse, les entreprises… Les discours de l’ensemble de ces acteurs convergent parfaitement pour promouvoir l’idée que la vidéosurveillance est la solution.
Si la vidéosurveillance se propage aussi largement, c’est aussi parce que son déploiement sert d’autres intérêts, avant tout politiques et économiques. L’installation de caméras permet aux municipalités de facilement capitaliser sur ces dispositifs : la sécurité est une ressource rentable politiquement, tant comme facteur d’attractivité territoriale pour la commune que comme une mesure de court terme prétendant répondre à des problématiques sociales.
Du côté des entreprises de la sécurité, la vidéosurveillance représente un marché très lucratif et en constante expansion (10% de croissance annuelle prévue) : il représentait 45 milliards d’euros en 2020 et pourrait s’envoler à 75 milliards d’ici 2025.
C’est pourquoi la lutte contre la vidéosurveillance qui a émergé dans les années 2000 [13] reste toujours d’actualité et devient plus importante que jamais, car à travers la technopolice, les caméras sont en passe de changer de nature.
Aujourd’hui, à travers le développement du modèle des smart cities, qui repose sur la collecte et l’exploitation de données, les systèmes de vidéosurveillance qui existaient depuis le début des années 1990 en France, se transforment pour tendre vers une surveillance plus totale. Cela passe notamment par l’ajout d’algorithmes à ces dispositifs, permettant de détecter des comportements, de collecter des données ou encore de coupler surveillance et fichage. Il s’agit donc d’un véritable changement d’échelle.
Une des évolutions récentes majeures est la VSA pour vidéosurveillance algorithmique (dite « automatique »). La VSA intègre un système d’algorithmes aux caméras de surveillance dites « classiques » dans le but d’automatiser l’analyse des images captées par les caméras, jusqu’à présent réalisée par des humains, des opérateurs vidéo au sein de centres de supervision urbains (CSU).
Cette surcouche algorithmique a pour objectif de faire de l’analyse vidéo, en temps réel ou de manière différée, afin de repérer… ce que la police a envie de repérer : les « comportements suspects », le « maraudage » (le fait d’être statique dans l’espace public ), le « dépassement d’une ligne » dans une zone prédéfinie, le suivi de personnes, la détection d’objets abandonnés, des bagarres, des vols, etc. [1]
La vidéosurveillance algorithmique fait ainsi partie des dispositifs les plus opaques car il est difficile de la documenter : les renseignements sont glanés sur les sites des industriels, les administrations publiques rechignent à répondre à nos demandes d’accès aux documents administratifs et enfin les algorithmes sont obscurs. En effet, la majorité des projets technopoliciers en France sont réalisés discrètement et ne gagnent pas à être publicisés selon les décideurs qui les mettent en place, afin de ne pas susciter d’opposition parmi la population.
Pour prendre un exemple, Nice vient d’équiper certaines de ses caméras de surveillance du système Cityvision de l’entreprise Wintics, un « système basée sur l’intelligence artificielle permettant de rechercher et de reconnaître une personne dans la foule en fonction de plusieurs critères comme sa tenue vestimentaire, sa corpulence, son âge ou sa taille » et se targue ainsi de ne pas avoir besoin de recourir à la reconnaissance faciale.
Il s’agit pourtant bien ici d’identification biométrique. L’entreprise met en avant un double discours : elle nie l’utilisation de technologies intrusive tout en les déployant.
Selon le fondateur de Wintics, le logiciel permet également « l’analyse des comportements dangereux de 8 modes de déplacements urbains » afin de « mieux comprendre comment fonctionnent les villes pour mieux les piloter ». La vidéosurveillance algorithmique vise donc à détecter, contrôler et exclure certain types de comportements et donc certaines populations.
Comme tout système de surveillance de l’espace public, la VSA s’intéresse en priorité aux personnes qui passent le plus de temps en extérieur – les personnes qui, par manque de ressources, n’ont pas ou peu accès à des lieux privés pour sociabiliser ou pour vivre. Cela est encore renforcé par le fait que, pour reconnaître efficacement des comportements, la VSA s’appuie sur des algorithmes entraînés à partir d’une grande quantité de séquences d’images représentant une même action.
Ainsi, les comportements les plus efficacement détectés seront ceux qui sont le plus fréquemment rencontrés et filmés dans la rue et les transports. Ne seront donc ciblés que les comportements typiques des populations qui y passent le plus de temps. Peu importe que ces activités soient licites ou illicites, ce sont ceux que la VSA aura appris à reconnaître. Il ne s’agit pas d’un simple « effet de bord » d’une technologie immature qui aurait encore quelques « biais ». Au contraire, la VSA est précisément vendue pour lutter contre des comportements définis comme « anormaux » bien qu’étant parfaitement communs et « normaux » pour une large partie de la population.
Par exemple, la RATP a récemment expérimenté dans la salle d’échange du RER de la station Châtelet-les-Halles un système pour repérer les personnes statiques pendant plus de 300 secondes. : maraudage, mendicité, réunions informelles. La VSA joue ainsi un rôle d’outil d’exclusion sociale, par la surveillance qui s’ajoute aux politiques d’urbanisme et d’aménagement urbain déjà déployées contre les populations populaires et précaires. C’est cette fuite en avant technologique que nous avons tenté de recenser et cartographier dans le cadre de la campagne Technopolice. Des drones aux micros détecteurs de sons anormaux, en passant par la vidéosurveillance algorithmique, censée détecter des comportements suspects, des identités ou encore des émotions, la technopolice prend des formes multiples.
A travers ce travail de documentation, nous souhaitons à la fois mettre en lumière le développement opaque des technologies policières dans les villes et aidez ses habitant.es à lutter grâce à plusieurs outils et un forum pour échanger et se retrouver. Nous observons l’arrivée de la technopolice depuis 2019 : industriels et politiques développent un attrait pour des technologies gadgets, qu’ils considèrent comme une solution à leurs problèmes. L’exemple de la ville de Saint Étienne est assez parlant pour illustrer cet enchevêtrement d’intérêts industriels, politiques et institutionnels.
Le projet initial, nommé S.O.F.T. pour Saint-Étienne Observatoire des Fréquences du Territoire visait, en partenariat avec l’Agence Nationale pour le Renouvellement Urbain (ANRU) et l’entreprise Serenicity, à installer des mouchards à Tarentaize-Beaubrun-Couriot, un des quartiers les plus défavorisés de la ville. Ces derniers, s’ils captaient des sons jugés « anormaux » (cris, de bombe de peinture, scie circulaire…) faisaient remonter une alerte au centre de supervision urbain (CSU) qui envoyait ensuite des drones sur place. Le dispositif était inclus dans le programme de ville durable et d’attractivité territoriale selon l’ANRU, qui finance une partie du projet dans le cadre de son « Programme d’Investissement d’Avenir Villes et Territoires Durables ».
On retrouve également dans ce cas l’alliance entre élus locaux et industriels de la sécurité et de l’armement (ici la société Serenicity, dirigée par Guillaume Verney-Carron, également président de la société Verney-Carron, fabricant d’armes et de lanceurs de balles de défense type flash-ball, avec qui le maire semble familier lorsqu’il s’adresse à lui. [2] C’est à la suite des nombreuses mobilisations des Stéphanois·es et de collectifs comme Halte au contrôle numérique ainsi qu’à la publication de nos documents que la CNIL a finalement déclaré le projet illégal et qu’il est tombé à l’eau.
Parfois attaquer en justice un dispositif sur la base de son illégalité peut fonctionner, comme dans deux lycées de Nice et Marseille où le département voulait installer des portiques de reconnaissance faciale à l’entrée, jusqu’à ce que le tribunal administratif leur donne tort. Mais bien souvent, il faut établir un rapport de force avec les collectivités, comme l’a montré le cas de Saint Étienne.
Que ce soit à Nîmes dès 2015 avec Briefcam, à Toulouse en 2016 avec IBM, à Marseille depuis 2018 avec la SNEF, à Paris avec la RATP qui autorise des entreprises à tester leurs algorithmes sur les utilisateu·rices des métros, à Nice plus récemment avec son système d’identification de personne dans la foule, ou encore avec la municipalité de Suresnes dans les Hauts-de-Seine qui offre sa population en cobaye pour la start-up parisienne XXII, la vidéosurveillance algorithmique se déploie un peu partout en France.
S’il reste compliqué de quantifier le nombre de villes qui l’utilisent, en raison du manque criant de transparence de ces dernières et de l’impossibilité de les distinguer visuellement des simples caméras de surveillance, nous en avons identifié une cinquantaine, le nombre exact dépassant fort probablement la centaine rien qu’en France.
Ces années de recherche et de documentation ont amené La Quadrature du Net à passer aujourd’hui à une nouvelle étape, celle de l’offensive. Depuis le début de l’initiative Technopolice, le constat est le suivant : les caméras ont changé de nature. Elles peuvent désormais être associées à des logiciels d’intelligence artificielle, être exploitées en association avec des fichiers de police et surtout avec des outils de reconnaissance faciale. L’ensemble de ce système de surveillance aggrave considérablement l’intrusivité des outils policiers et renforce la perte d’anonymat des personnes.
C’est pourquoi il est nécessaire de combattre l’ensemble de ce phénomène auxquelles participent les caméras de surveillance avant qu’il ne se généralise. L’agenda politiquee nous presse : les prétextes de la coupe du monde de rugby de 2023 et des Jeux Olympiques et Paralympiques de 2024 sont régulièrement brandis par les décideurs et les industriels pour justifier le déploiement de la vidéosurveillance algorithmique et la reconnaissance faciale, qui pourraient paraître plus acceptables dans un contexte d’événement sportif de grande ampleur, susceptible d’être l’objet d’attaques.
Ces échéances ne demeurent néanmoins qu’un catalyseur imaginé pour accélérer aussi bien l’installation que l’acceptation de ces technologies par la population. L’expérience montre que, souvent, les dispositifs installés à l’occasion de tels événements sont ensuite maintenus, en raison notamment des lourds investissements qui incitent à ne pas y renoncer après la phase d’expérimentation.
Il est par ailleurs aisé de leur trouver de nouvelles applications dans des contextes liés à l’actualité courante : mobilisations sociales, manifestations, fêtes populaires, etc. S’opposer dès maintenant à cette installation sans contrôle de tels dispositifs et empêcher leur utilisation au-delà des moments de fixation épisodiques est donc particulièrement crucial. Les discours invoquant de futures expérimentations feraient presque oublier que ces technologies sont déjà bien installées et se complètent les unes avec les autres.
Outre la vidéosurveillance algorithmique, c’est l’utilisation massive en France de la reconnaissance faciale qui est encore méconnue et que notre action cherche à également à rendre visible. On peut ainsi lire dans un article de la revue Gendinfo de la Gendarmerie Nationale qui décrit les méthodes les plus courantes d’investigation biométriques lors d’enquêtes judiciaires que la reconnaissance faciale « passe par une consultation du TAJ à partir d’une image de visage capturée par une caméra de vidéo-protection ».
Le TAJ, fichier de « traitements des antécédents judiciaires » commun à la police et à la gendarmerie, contient selon un rapport parlementaire « 18,9 millions de fiches de personnes mises en cause » par la police pour des crimes, des délits ou certaines contraventions (telles que des dégradations légères). Que ces personnes soient ou non condamnées par la justice, la police peut ainsi arbitrairement décider de leur ouvrir une fiche pour une durée allant jusqu’à 20 ans.
Le rapport estime également que « le TAJ comprend entre 7 et 8 millions de photos de face » – sans que soit précisé d’où viennent ces images. Aussi la police a-t-elle pu les récupérer elle-même, au commissariat ou sur le terrain, via des caméras de surveillance ou encore sur Internet, sur les réseaux sociaux, lors de contrôles d’identité ou à partir d’autres fichiers de police. En 2021, selon un rapport parlementaire, la police réalisait 1 600 opérations de reconnaissance faciale par jour via le TAJ. Ces pratiques illégales sont désormais effectuées de façon banale sans aucun encadrement ni contrôle.
À la fin du mois de mai 2022, une grande campagne de collecte de signatures a débuté, afin de déposer une plainte collective contre le Ministère de l’Intérieur devant la CNIL afin de lutter contre l’utilisation arbitraire des caméras, de leurs algorithmes mais également de la reconnaissance faciale et du fichage de masse par la police qui en découle. De fait, ces quatre systèmes de surveillance peuvent difficilement être dissociés les uns des autres, chacun complétant et renforçant les autres.
La plainte collective de La Quadrature du Net s’attaque au système tout entier car pour lutter contre la reconnaissance faciale, il faut aussi lutter contre l’ensemble des sources d’images et d’informations qui la nourrissent et la rendent possible. C’est pourquoi est aussi déposée la demande de contrôler et de recadrer le fichier TAJ et le fichier TES des « titres électroniques sécurisés ». Ce dernier regroupe depuis 2016 le visage et les données d’identité de toute personne demandant une carte d’identité ou un passeport. À sa création, le gouvernement avait justifié le fichage de l’ensemble de la population en mettant en avant des risques de fraude lors du renouvellement des passeports et des cartes d’identité.
Le risque est grand que ce méga-fichier puisse servir à la police et aux services de renseignement pour multiplier les cas d’usage de la reconnaissance faciale de la même façon que TAJ l’est aujourd’hui. Enfin, en complément, il faut combattre les sources de ce système de surveillance généralisée, ses yeux, c’est-à-dire le million de caméras de surveillance présentes dans nos rues, en France. Ne faisant pas baisser la criminalité et ne participant à la résolution que d’un infime nombre d’infractions , elles s’avèrent inutiles et représentent un outil disproportionné par rapport au risque élevé de surveillance et de répression qu’elles contiennent.
Le but de cette campagne est ainsi bien juridique : demander à la CNIL d’enlever les caméras, d’arrêter la reconnaissance faciale et enfin de réduire drastiquement la taille de deux fichiers de police TAJ et TES. Mais il est aussi et surtout politique : il s’agit de permettre à chacun et chacune de faire entendre sa voix contre ces technologies et de s’y opposer avant qu’elles ne soient imposées partout, dans un espace où les termes du débat sont monopolisés par quelques acteurs : des municipalités droitisées et conquises aux discours sécuritaires, des industriels qui s’enrichissent avec ces technologies de surveillance, des start-ups du numérique, l’État, et où l’on se retrouve devant le fait accompli sans pouvoir se poser cette simple question : voulons-nous vraiment de cette société ?
Cette plainte vise un acteur en particulier : l’État qui, à travers son ministère de l’Intérieur, est à l’initiative du déploiement de ces technologies, en collaboration et avec l’appui des autres acteurs. Choisir cette cible envoie un signal fort et exerce une pression importante sur la CNIL, pour que soit mis un coup d’arrêt à ce système et aux politiques de surveillance. Mais ce n’est qu’une étape dans le combat contre la technopolice. Le sens de l’initiative Technopolice lancée il y a trois ans ne saurait exister sur le long terme que grâce à chaque lutte locale qui se crée partout en France (et au-delà avec Technopolice Belgique).
Dans chaque ville, il s’agit de continuer à scruter les projets, analyser les informations, rejoindre des collectifs locaux via forum.technopolice.fr, pour s’organiser et mieux s’opposer à ces technologies, et mettre fin à ce système avant qu’il ne se généralise.
Les 22, 23 et 24 septembre se tient le festival Technopolice à Marseille, pour réfléchir ensemble à la manière de lutter contre ces dispositifs de surveillance. D’ici là, apportez votre soutien à la campagne !
Retour sur la journée du 8 octobre par les organisateurices de cet événement contre la Technopolice, présentée ici.
Forcalquier, 6000 habitant·es, une ruralité toute relative : de nombreux touristes traversent les Alpes de Haute-Provence, les néo-ruraux affluent et restent dans un environnement emprunt de traditions et dont l’activité économique agricole forte résonne dans cette petite ville sous l’œil vigilant de plus de 30 caméras publiques ou privées. Le 8 octobre, un collectif d’habitant·es du territoire proposait une journée dédiée à la question de la surveillance, du contrôle des données, du tout numérique…
La programmation concoctée de manière solidaire et bénévole par tous les partenaires était volontairement très diversifiée pour permettre d’aborder ces sujets grâce à différentes pratiques et ainsi permettre d’outiller toutes les participant·es selon les envies, les besoins, les affinités ! La volonté d’un tel événement était de mobiliser du public pour informer, sensibiliser et identifier l’omniprésence du numérique et ses conséquences, et ce, dès le plus jeune âge tout en contextualisant la réalité d’une vie rurale sous surveillance comme pourrait l’être une zone urbaine en tension.
Cette politique de la surveillance engendre des sentiments forts et parfois peu ou pas conscientisés que la réflexion collective permet d’aborder en créant du lien, du soutien, un sentiment de réappropriation de nos espaces publics. Le public a navigué dans les locaux du jardin des cordeliers, lors d’une journée pluvieuse, sous le regard des gendarmes présents notamment lors de la cartopartie (balade pour créer une cartographie du dispositif de vidéo surveillance !).
Relevons que cette activité citoyenne d’information et de sensibilisation autour d’un projet coûteux de la municipalité a suscité l’intérêt des autorités. Nous avons pu constater grâce à cette cartopartie réalisée avec la précieuse contribution des bénévoles de Technopolice Marseille, qu’un nombre très conséquent de caméras privées existaient et n’étaient pas correctement signalées mais que les caméras supposées publiques ne l’étaient pas non plus!
Primitivi a réalisé un superbe reportage vidéo de cette cartoparty, à retrouver sur notre Peertube ou bien sur le site de la télé de rue Primitivi.
La réglementation relative à la vidéosurveillance impose en effet une signalétique formelle, que Forcalquier ignore. Nous avons pu constater que quelques jours après, deux panneaux incomplets étaient ajoutés signifiant ainsi l’existence de deux caméras.
Familles et public du 04 sont venus parfois de loin pour rencontrer ces acteurs de la pédagogie numérique et apprendre à se protéger, pour continuer de rêver d’un monde libre et confiant. Une dynamique est donc née de cette journée : celle de questionner encore le contrôle et l’auto contrôle, d’explorer les logiques autoritaires et l’usage des technologies de pointe qui contribuent à la répression, au tout sécuritaire ….
En réponse à ce mouvement réactionnaire, nous favoriserons un mouvement de transformation en créant des espaces où l’imaginaire peut encore exister sans discrimination, sans méfiance, sans normalisation ni culpabilisation. Les ressources nées de cette journée :
Merci aux partenaires, aux voisin-es solidaires et aux citoyennes vigilant·es
nous04@proton.me
Dans la lignée de l’analyse de l’Observatoire des Libertés Numérique (OLN), nous republions un article de Halte au contrôle numérique, un collectif Stéphanois qui s’est constitué lors de la lutte contre le projet Serenicity et d’installation de mouchards dans les rues de Saint Étienne. Depuis la parution de ce texte, la LOPMI a été adoptée à l’assemblée nationale et est désormais en commission mixte paritaire pour que députés et sénateurs s’accordent.
La loi LOPMI (“Loi d’orientation et de programmation du ministère de l’Intérieur“), énième loi sécuritaire du pouvoir macroniste, est une suite de la loi “Sécurité globale” de 2020, avec la volonté de surdoter la police, d’affaiblir son contrôle par la justice (et donc les possibilités de recours contre les excès de pouvoir), de contrôler et sanctionner davantage…
Ce projet de loi est une version “allégée” de celui présenté en mars 2022 : réduite à 16 articles car la majeure partie des mesures, notamment numériques, se trouvent dans un rapport annexé, approuvé par le seul article 1 ! Par ailleurs pour d’autres points, notamment sur l’affaiblissement de l’indépendance de la police judiciaire, il y a renvoi à un autre texte à venir.
Ce texte a déjà été adopté en 1e lecture au Sénat (“amélioré” par LR) : seuls les sénateurs écolo et communistes ont voté contre (il n’y a pas de LFI), les socialistes pour (!). Il vient de passer à l’Assemblée Nationale : avec bien sûr le soutien de LR, du RN … abstention des socialistes, l’opposition de LFI, du PC, de EELV. Ci-dessous synthèse de différentes analyses.
Par ce texte (version après le vote à l’AN), Gérald Darmanin veut engager le “réarmement du ministère de l’Intérieur”. Le rapport annexé, véritable manifeste politique, fait la promotion d’une vision fantasmée et effrayante du métier de policier, où l’agent-cyborg et la gadgétisation technologique sont présenté·es comme le moyen ultime de faire de la sécurité.
Les diverses mesures (un article de Mediapart complète cette vision d’une “numérisation tous azimuts”) :
Comme l’ex député LREM de la Loire, Jean-Michel Mis, l’avait proposé dans un rapport, la Coupe du monde de rugby de 2023 et les Jeux olympiques de 2024 seront l’occasion d’un test grandeur nature de ces différents dispositifs, 295 millions d’euros au moins y seront consacrés. Le collectif Saccage 2024 appelle à un rendez-vous le dimanche 11 décembre, pour “faire la fête au Comité d’Organisation des JO” (COJO). Luttons contre les JO et le monde sécuritaire qu’ils amènent avec eux !
Ce projet de loi vise à supprimer tout ce que la procédure pénale compte de garanties contre l’arbitraire de la police. La procédure pénale est décrite comme “une lourdeur administrative inutile et inefficace”, détachée du “cœur de métier” du policier. On peut d’ailleurs s’étonner que le texte soit porté par le seul ministère de l’Intérieur alors qu’il induit une refonte importante de la procédure pénale, donc relevant du ministère de la justice.
Un autre texte est prévu en 2023 qui, comme le décrivent des syndicalistes, juges, avocats et la LDH, vise à enterrer l’actuelle police judiciaire. Il départementaliserait ces services, ce qui entraînerait une perte d’indépendance de la police judiciaire, jusque là contrôlée par les juges.
Le texte banalise des opérations de surveillance en les rendant accessibles à des agents moins spécialisés et en les soustrayant au contrôle de l’autorité judiciaire. Il crée des assistants d’enquête (article 10 : personnels administratifs qui auront désormais accès aux fichiers de police, à la notification des droits aux personnes placées en garde à vue…). Il facilite l’accès au grade d’officier de police judiciaire (article 9 : accessible désormais à un simple gardien de la paix, dès la sortie de l’école). Ceux-ci pourront procéder à des perquisitions, gardes à vue, “constatations et examens techniques” et à l’ouverture des scellés sans réquisition du procureur.
La possibilité de mobiliser des “techniques spéciales d’enquête” (sonorisation de lieux privés, captation de données informatiques, captation d’images ou infiltration numérique) est élargi aux “abus de faiblesse en bande organisée” (contre les phénomènes sectaires, la quête de fugitifs recherchés pour criminalité organisée et pour les homicides et viols en série).
L’article 11 faciliterait les interconnexions et accès aux fichiers policiers (notamment la collecte de photographies et l’utilisation de la reconnaissance faciale dans le fichier TAJ, ainsi que l’analyse de l’ADN dans le FNAEG), conduisant au fichage massif et au contrôle de plus en plus inquisiteur des populations.
L’article 12 attribuerait une présomption d’habilitation. C’est l’“effet cliquet” : après avoir multiplié les fichages en prétextant des garanties, on supprime l’ensemble des garanties au nom de la “simplification”. Yoann Nabat (Université de Bordeaux) analyse notamment l’allégement, voire la suppression de l’habilitation conditionnelle : celle-ci est indispensable par les connaissances spécifiques qu’impose l’usage de bases massives de données confidentielles et face au risque de diffusion de ces informations (illustré notamment par l’affaire Haurus). Or le texte veut instaurer une présomption d’habilitation de tous les policiers et gendarmes, quelles que soient leurs compétences, ancienneté, grades. Par ailleurs, ils n’auront plus à indiquer le fondement juridique leur permettant de consulter le fichier. Seul un “contrôle spontané” d’un magistrat les obligerait à une justification, mais vu leur charge de travail…
Créée en 2016, celle-ci verrait son champ étendu (Darmanin voulait l’étendre à tous les délits punis par moins d’un an de prison, soit plus de 3 400 infractions ! Ramenés par les sénateurs à 9, suite à un avis du Conseil d’État).
Il s’agit ici d’une inversion du droit : la présomption d’innocence devient présomption de culpabilité car la contestation de l’AFD devient impraticable vu la lourdeur de la procédure, vu l’obligation de la consignation et vu l’absence de notification de l’intégralité du procès- verbal de constat du délit (dixit Syndicat de la Magistrature – Syndicat des avocats de France et LDH).
L’alourdissement des amendes (on parle de 800 € de forfait “de base”) vise bien sûr les moins aisé·es, et en fait une arme contre gilets jaunes, militant·es écolo dits “radicaux” (types Extinction Rebellion, anti-mégabassine), celleux de mouvements lycéens, jeunes de banlieue, manifestant·es contre le pass sanitaire… toutes et tous déjà lourdement frappé·es (jusqu’à la faillite personnelle pour certain·es d’entre eux/elles, cumulant jusqu’à 20 000 euros d’amende !).
Des amendements ciblent particulièrement les dégradations type tags, la filouterie de carburant, la détention de chien d’attaque non stérilisé, le tapage nocturne, la vente à la sauvette commise en réunion ou encore l’introduction d’alcool dans un stade…
L’OLN dénonce l’industrialisation de la justice pénale qui verbaliserait de manière arbitraire des personnes, lesquelles n’auraient alors pour seul recours que de prendre le risque d’être condamnées devant un juge.
D’autres sanctions sont renforcées :
Une “lutte renforcée contre les groupuscules violents” est aussi à l’ordre du jour, concentrée par un amendement sur ceux “notamment d’extrême droite et d’extrême gauche”.
Le texte évoque une multiplication des “crises”, qu’elles soient sanitaires, climatiques, “cyber” ou “hybrides” (cumulant plusieurs causes). La volonté est de renforcer les pouvoirs des préfets “lorsqu’interviennent des événements de nature à entraîner un danger grave et imminent pour la sécurité, l’ordre ou la santé publics, la préservation de l’environnement, l’approvisionnement en biens de première nécessité ou la satisfaction des besoins prioritaires de la population“, définition très large permettant toutes les interprétations…
Pour une durée maximale d’un mois, le préfet pourrait alors “diriger l’action de l’ensemble des services et établissements publics de l’État ayant un champ d’action territorial”, et pourrait prendre “les décisions visant à rétablir l’ordre public“.